Pour les musulmans en France, il n’existe aucun endroit sûr.

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Le 27 avril 2025, à Paris, un manifestant brandit une pancarte sur laquelle on peut lire « Justice pour Aboubakar, l’islamophobie tue » lors d’un rassemblement en hommage à Aboubakar Cissé

Le meurtre violent d’Aboubakar Cissé pendant la prière dans une mosquée met en lumière la banalisation de l’islamophobie à travers l’Europe.

À la fin du mois dernier, la nouvelle a bouleversé la France : Aboubakar Cissé, un jeune homme noir, musulman, d’origine malienne, a été tué à l’intérieur d’une mosquée dans le sud du pays.

D’abord présenté dans les médias comme une simple dispute personnelle, ce récit s’est rapidement effondré lorsque le procureur local a annoncé que l’affaire faisait l’objet d’une enquête pour des « faits à connotation islamophobe ».

Aboubakar Cissé n’a pas seulement été tué : il a été ciblé dans un lieu sacré. Après avoir nettoyé la mosquée en vue de la prière du vendredi, les images de vidéosurveillance le montrent en train d’enseigner à un autre homme comment prier. Alors qu’il était en pleine prosternation, l’agresseur a fait mine de le suivre, avant de sortir un couteau, de le poignarder à 57 reprises, tout en criant des insultes islamophobes.

Le choc émotionnel est immense. Depuis la diffusion des images, chaque détail ne fait qu’approfondir la douleur collective de la communauté musulmane et attiser une colère légitime.

Comme beaucoup, je me suis posé la même question encore et encore : aurions-nous pu empêcher cela ?

J’aimerais pouvoir dire que j’ai été surprise. Mais en tant que femme musulmane visible en France et coordinatrice d’un réseau paneuropéen de jeunes et d’étudiants musulmans, je sais que les signes annonciateurs étaient là depuis longtemps. Ils ont été sciemment ignorés.

Aboubakar Cissé était jeune, noir et musulman. Il servait sa communauté dans l’ombre, comme tant d’autres qui entretiennent ces espaces où d’autres trouvent la paix. Mais il incarnait aussi tout ce que des figures politiques haineuses s’efforcent de déshumaniser depuis des années.

Et même face à des preuves vidéo accablantes, certains refusent toujours de qualifier cet acte de crime haineux, à l’intersection de l’islamophobie et du racisme anti-noir. Ce n’était pas un conflit personnel : c’était la conséquence inévitable de décennies de haine banalisée.

Un homme franco-bosnien a été arrêté dans cette affaire. Son avocat nie que Aboubakar Cissé ait été visé en raison de sa religion. Pourtant, pour Abdallah Zekri, vice-président du Conseil français du culte musulman, les faits sont évidents : « C’est un crime islamophobe, le plus grave de tous ceux commis en France contre notre communauté. »

Ce drame ne relève pas du geste isolé d’un individu dérangé. Il s’inscrit dans un climat général de haine, nourri par des politiques d’État prétendument neutres, par des récits médiatiques qui présentent les musulmans comme des menaces, et par les humiliations quotidiennes que subissent les étudiants, les travailleurs et les familles musulmanes.

 

Une Europe où Cissé peut être assassiné dans sa propre mosquée ne peut pas se prétendre une union d’égalité, de liberté et de droits humains.

Le meurtre brutal de Aboubakar Cissé n’est pas une anomalie, mais bien le point d’aboutissement logique d’un projet politique qui transforme la peur en votes et les citoyens en cibles.

Lorsqu’une femme musulmane voilée en France a 80 % de chances en moins d’obtenir un entretien d’embauche ; lorsque les écoles musulmanes sont soumises à une surveillance disproportionnée ; et lorsqu’un homme peut être assassiné dans sa propre mosquée, aucun endroit n’est réellement sûr pour les musulmans en France.

Cela fait des années que nous tirons la sonnette d’alarme. Nous avons demandé du dialogue, de la protection et de la dignité. Mais nos appels ont été accueillis par des portes closes et une exclusion institutionnelle.

Ce n’est plus de l’inaction politique. C’est de la complicité.

Je ne blâme plus uniquement les politiciens haineux qui utilisent les musulmans comme boucs émissaires à des fins électorales ceux qui, il y a encore quelques semaines, criaient « à bas le voile » et glorifient la nostalgie coloniale, refusant systématiquement de voir les citoyens musulmans comme faisant partie du « nous » européen.

Je blâme aussi ceux qui reconnaissent publiquement notre douleur, mais ignorent nos alertes à huis clos. Des élus locaux jusqu’aux institutions européennes, leur silence n’est pas neutre ; il est meurtrier.

Combien de morts encore ?

Partout en France, des veillées spontanées ont été organisées pour pleurer la mort d’Aboubakar Cissé. Et ce n’est pas la première fois.

Après l’assassinat de Marwa el-Sherbini en 2009, nous avons demandé : combien encore ? Après celui de Makram Ali en 2017, à nouveau : combien encore ? Mais aujourd’hui, après le meurtre atroce de Aboubakar Cissé, nous ne posons plus la question. Nous crions : ça suffit.

Combien de vies l’islamophobie doit-elle encore briser avant qu’elle ne soit reconnue comme la menace structurelle qu’elle est ? Combien de mosquées doivent encore devenir des scènes de crime avant que la sécurité des musulmans d’Europe ne devienne une priorité politique non négociable ?

Les musulmans de France constatent que les violences islamophobes restent ignorées, même après un meurtre dans une mosquée.

Nous n’avons pas besoin de consultations symboliques ni de déclarations creuses. Ce qu’il faut, c’est une transformation urgente et structurelle. Lutter contre l’islamophobie, c’est traiter les musulmans comme des partenaires à part entière dans la construction de l’Europe, et non comme des menaces à contenir. C’est reconnaître que l’islamophobie est une forme de racisme ancrée dans l’héritage colonial, et non une simple intolérance religieuse.

La stratégie européenne de lutte contre le racisme doit être co-construite avec les communautés musulmanes. Elle doit tenir compte du caractère intersectionnel des discriminations et éviter de fragmenter le combat en isolant l’islamophobie des autres formes de racisme.

Si nous échouons à faire ces liens en ignorant comment l’islamophobie se croise avec le racisme anti-Noir et l’exclusion structurelle alors les personnes les plus marginalisées continueront à payer le prix de l’indifférence européenne.

Malgré la douleur, la peur et la colère, les mosquées resteront des lieux d’accueil et de dignité comme Aboubakar Cissé en était l’incarnation. Nous le devons à notre jeunesse, à notre avenir, et à l’idée même de l’Europe.

Car une Europe où un homme peut être assassiné dans sa propre mosquée ne peut pas prétendre incarner l’égalité, la liberté et les droits humains.

Hania Chalal est présidente du Forum des organisations européennes de jeunesse et d’étudiants musulmans (FEMYSO). Elle a été la première femme à présider les Étudiants Musulmans de France (EMF) au niveau national.

source https://www.middleeasteye.net/opinion/france-muslims-there-no-safe-place

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