Il y a 100 ans, le premier office religieux a été célébré dans la mosquée Lahore-Ahmadiyya de Berlin, située à Wilmersdorf. La plus ancienne mosquée encore en activité en Allemagne a offert un refuge aux Juifs pendant l’époque nazie et a été administrée pendant 20 ans par une femme.
Il est 12h21, l’heure de la prière du midi, l’une des cinq prières quotidiennes de l’islam. C’est ce qui est indiqué sur le calendrier à l’entrée de la mosquée. On peut même y consulter les horaires de prière dans six mois. Quelques fidèles arrivent encore, rangent leurs chaussures sur les étagères et retirent précipitamment leurs vestes en se dirigeant vers la salle de prière. En ce milieu de journée, environ 15 hommes et une femme se recueillent. Les mains levées jusqu’à la tête, ils s’agenouillent et posent leur front au sol.
Un quotidien paisible est revenu dans la plus ancienne mosquée du pays. Pourtant, il y a peu, des chaises occupaient exceptionnellement la salle de prière : en mars, le président fédéral Frank-Walter Steinmeier s’y était rendu pour un iftar, le repas de rupture du jeûne pendant le Ramadan. La mosquée célébrait alors le centenaire du premier office religieux, le samedi 26 avril.
Une visite présidentielle comme symbole de solidarité
Amir Aziz, l’imam de la mosquée, était parmi les fidèles ce jour-là. Calme et affable, ce Pakistanais de naissance dirige la communauté Lahore-Ahmadiyya de Berlin depuis 2016. La visite du président fédéral l’a profondément marqué :
« Ce fut un grand honneur pour nous. Je pense que sa présence ici est un symbole de solidarité avec tous les musulmans d’Allemagne. »
Et ce n’est pas exagéré : dans un discours prononcé à la mosquée, Steinmeier a rappelé, en écho à l’ancien président Christian Wulff, que l’islam faisait naturellement partie de l’Allemagne, fort de ses 5,5 millions de fidèles.
« Et nous faisons partie de l’Allemagne », ajoute l’imam Aziz, « dans toutes les situations difficiles, les musulmans se tiendront aux côtés de la population allemande. »
L’ouverture des années 1920
Qu’une mosquée ait été construite dans les années 1920 peut sembler surprenant. Pourtant, selon la chercheuse Gerdien Jonker, l’Allemagne, isolée après la Première Guerre mondiale, était alors ouverte aux musulmans. La jeune communauté musulmane était, quant à elle, ouverte aux autres religions.
Sadr-ud-Din, premier missionnaire envoyé, a traduit pour la première fois le Coran en allemand avec l’aide du Juif Hugo Marcus. En 1936, alors que les lois de Nuremberg rendent la vie des Juifs insupportable, certains trouvent refuge dans la mosquée. Et de 1939 à 1959, c’est une convertie prussienne, Amina Mosler, qui administre la mosquée.
« À l’origine, c’était un groupe multireligieux qui cherchait à s’unir », explique Jonker.
La mouvance Lahore-Ahmadiyya, issue de Mirza Ghulam Ahmad (1838-1908), voulait créer une religion de l’avenir, où tous seraient égaux. Cette branche refusait le califat et prônait une approche démocratique de la foi, reconnaissant la laïcisation dans l’Inde britannique d’alors. Elle se considérait à égalité avec ses voisins — sikhs, hindous, bouddhistes, chrétiens et juifs.
Selon Gerdien Jonker, l’imam Amir Aziz poursuit encore aujourd’hui cette vision inclusive, ce qui explique que de nombreux fidèles ne soient pas nécessairement membres officiels de la communauté estimée à environ 300 à 400 membres en Allemagne mais viennent d’horizons très variés.
Faire face aux différences culturelles
Après la grande vague de réfugiés en 2015, une structure d’accueil a été installée non loin de la mosquée. De nombreux musulmans syriens et afghans, souvent très conservateurs, ont alors rejoint la mosquée. Certains ont été choqués que des femmes y prient sans porter le voile. L’imam leur a répondu que cela relevait de la liberté individuelle. Pour apaiser les tensions, il a alors pris une décision pragmatique : célébrer deux prières du vendredi séparées.
Un trésor d’archives pour les 100 ans
Un cadeau tardif pourrait bientôt marquer le centenaire : en 2017, lors de rénovations, les archives historiques de la mosquée ont été redécouvertes, contenant quelque 70 000 documents, certains vieux d’un siècle. Un partenariat avec les Archives de l’État de Berlin a été conclu pour les préserver et les rendre accessibles au public. Le projet a été retardé par la pandémie, mais l’imam Amir Aziz reste optimiste : il espère finaliser la numérisation à temps pour le centenaire de l’achèvement de la mosquée, une célébration encore à venir.




























