Les options de l’Égypte face au déplacement des Palestiniens de Gaza

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Un groupe de Palestiniens brandissant des drapeaux manifeste à Deir Al Balah, à Gaza, le 1er février 2025, en soutien à la position de l'Égypte et de la Jordanie rejetant l'appel du président américain Donald Trump à la déportation des habitants de Gaza.

L’insistance du président américain Donald Trump sur le fait que l’Égypte et la Jordanie accepteront les Palestiniens déplacés de la bande de Gaza soulève de sérieuses inquiétudes quant à un éventuel accord négocié en secret pour faciliter leur déplacement forcé. En d’autres termes : un nettoyage ethnique. Les détails finaux d’un tel accord ne sont peut-être pas encore entièrement définis, notamment en raison du rejet officiel exprimé par la réunion arabe à six parties au Caire samedi dernier. L’Égypte, la Jordanie, la Palestine, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis ont conclu leur rencontre en appelant l’administration américaine à relancer la solution moribonde à deux États.

Soyons clairs. Le plan de déplacement n’est pas une conséquence directe de l’Opération Déluge d’Al-Aqsa en octobre 2023 ou du génocide des Palestiniens à Gaza qui a suivi. Le nettoyage ethnique est sur la table depuis les années 1940, bien que les tentatives aient échoué à plusieurs reprises.

Ce qui inquiète, cependant, c’est que cette fois, la rhétorique de Donald Trump a été formulée avec une immense confiance et une menace implicite. « Nous faisons beaucoup pour eux [l’Égypte et la Jordanie], et ils feront cela », a-t-il déclaré jeudi dernier. Il a ajouté que la reconstruction de Gaza prendrait 15 ans.

Donald Trump a réitéré sa déclaration vendredi, selon Reuters : « La Jordanie et l’Égypte accepteront des personnes de Gaza. J’ai entendu quelqu’un dire qu’ils ne le feraient pas, mais je pense qu’ils le feront. Je suis convaincu qu’ils le feront. »

L’approche de la carotte et du bâton a longtemps été utilisée par Trump pour faire avancer son agenda.

Il a déjà offert des incitations à l’Égypte en l’exemptant, ainsi qu’Israël, du gel de l’aide américaine aux pays du monde entier.

Le président américain pourrait chercher à courtiser son homologue égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, avec une invitation officielle à la Maison-Blanche, un ensemble d’aides financières provenant des nations du Golfe, des accords économiques et militaires, ainsi que la possibilité d’effacer une partie de la dette extérieure de l’Égypte (qui s’élève à la somme colossale de 153 milliards de dollars). Ces incitations pourraient adoucir la position du Caire.

Des figures de l’opposition égyptienne avertissent qu’il pourrait y avoir des négociations non divulguées en cours, avec des craintes qu’Al-Sissi n’exploite la situation à son avantage, en l’utilisant pour renforcer son emprise sur le pouvoir et pousser à de nouvelles modifications constitutionnelles lui permettant un quatrième mandat présidentiel et une prolongation de son règne jusqu’en 2036.

Alimentant ces soupçons, la réalité est que le président égyptien fait face à une crise interne majeure en raison de politiques économiques défaillantes et d’un soutien populaire en déclin. De plus, des acteurs régionaux et occidentaux craignent que son régime ne s’effondre, à l’instar de celui de Bachar Al-Assad en Syrie. Cela donne à Washington un levier d’influence, lui permettant de laisser entendre qu’il pourrait soutenir une alternative adéquate pour éviter l’instabilité en Égypte ; une telle pression pourrait influer sur la position d’Al-Sissi.

La réponse de l’Égypte semble incohérente et fragmentée à plusieurs niveaux. D’une part, Al-Sissi a personnellement déclaré le rejet par l’Égypte du déplacement des Palestiniens lors d’une conférence de presse avec le président kényan William Ruto au Caire. Il a qualifié un tel déplacement d’injustice à laquelle l’Égypte ne pouvait pas participer, réaffirmant que la solution réside dans l’établissement d’un État palestinien avec des droits historiques, sur la base des frontières d’avant juin 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale.

L’Égypte a intensifié sa position en orchestrant ce qui semblait être des manifestations mises en scène au poste-frontière de Rafah vendredi dernier.

Ces manifestations ont été coordonnées avec les agences de sécurité, impliquant des partis pro-gouvernementaux et des parlementaires des deux chambres du Parlement, avec des slogans condamnant le plan de déplacement. Dans le même temps, les autorités égyptiennes ont refusé l’autorisation au Mouvement démocratique civil (une coalition de partis libéraux et de gauche) d’organiser une manifestation devant l’ambassade des États-Unis au Caire contre ce même projet.

Le mois dernier, le régime égyptien a prolongé la détention de 173 jeunes Égyptiens de 45 jours supplémentaires en attendant une enquête, après leur participation à des manifestations pro-palestiniennes le 20 octobre 2023.

Malgré cette position affichée, Al-Sissi semble chercher à se rapprocher de Donald Trump, déclarant que la présidence américaine pourrait inaugurer un “âge d’or de la paix” au Moyen-Orient. Selon un communiqué de la présidence égyptienne, Al-Sissi a souligné que la communauté internationale comptait sur la capacité de Donald Trump à parvenir à un accord de paix historique et durable qui mettrait fin au conflit de longue date dans la région.

Jamal Al-Masri, expert en affaires palestiniennes, a noté que le gouvernement égyptien tente de fabriquer une apparence de soutien populaire à sa position. Selon lui, cela vise à envoyer un message à Washington : accepter le plan de déplacement pourrait déstabiliser le régime égyptien, menacer la sécurité nationale et provoquer des troubles publics pouvant aller jusqu’à une intervention militaire pour destituer Al-Sissi.

Bien que les options de l’Égypte soient limitées, elles ne sont pas inexistantes. L’une d’elles serait de relancer l’idée de déplacer les Palestiniens déplacés vers le désert du Néguev (12 500 kilomètres carrés), occupé par Israël et bordant la péninsule du Sinaï. Al-Sissi avait d’ailleurs suggéré ce plan au début de la guerre de Gaza en octobre 2023.

Un analyste politique, ayant requis l’anonymat, a averti qu’une opération de déplacement non déclarée pourrait avoir lieu. L’Égypte pourrait discrètement accepter un certain nombre de Palestiniens déplacés en tant que “réfugiés”, les intégrant de manière similaire aux réfugiés syriens et soudanais déjà présents dans le pays. Un autre scénario consisterait à accueillir des Palestiniens blessés et leurs accompagnants sous prétexte humanitaire, sans garantir leur retour à Gaza. De plus, des familles gazaouies pourraient être réinstallées de manière informelle à Rafah et El-Arich, en Égypte.

Adam Boehler, l’envoyé spécial des États-Unis pour les affaires des otages, a exhorté l’Égypte et la Jordanie à proposer des alternatives s’ils rejettent le plan de déplacement. Il a précisé que Trump avait suggéré ce qu’il considère comme une option adéquate pour ces deux pays, tout en restant ouvert à d’autres solutions.

L’Égypte est peu susceptible d’escalader les tensions ou de s’opposer frontalement à l’administration américaine, notamment en raison du soutien que Trump a accordé à Al-Sissi lors de son premier mandat (2017-2020), lorsqu’il l’avait qualifié de “mon dictateur préféré”.

Cependant, l’Égypte pourrait contourner la pression américaine en exploitant son rôle de médiateur dans les négociations de cessez-le-feu et les échanges d’otages entre Israël et le Hamas. Son importance stratégique pour Israël, reconnue ouvertement par des responsables israéliens, lui confère également un certain levier diplomatique.

Elle pourrait aussi renforcer l’opposition arabe et islamique au plan de déplacement et chercher un soutien auprès de puissances mondiales telles que la Russie et la Chine. De plus, le rejet populaire du déplacement, tant en Égypte qu’au sein des Palestiniens eux-mêmes, pourrait être utilisé pour faire pression sur Washington afin qu’il reconsidère son approche.

Une carte particulièrement significative que l’Égypte pourrait jouer serait la menace d’un effondrement du traité de paix Égypte-Israël si le déplacement forcé vers le Sinaï était mis en œuvre. Un tel scénario pourrait entraîner des attaques palestiniennes depuis le territoire égyptien contre des cibles israéliennes, ce qui aggraverait considérablement les tensions. Un tel dérapage est un risque que Washington chercherait certainement à éviter.

Les observateurs suggèrent également de renforcer le contrôle de l’Autorité palestinienne sur Gaza, d’accélérer les efforts de reconstruction et d’envisager le déploiement d’une force de maintien de la paix internationale ou arabe pour séparer Gaza des colonies israéliennes.

Si le déplacement échoue en tant qu’option, Trump pourrait se tourner vers l’autorisation pour Israël d’annexer les colonies en Cisjordanie ou de reprendre les opérations militaires contre le Hamas.

En fin de compte, la realpolitik façonnera probablement les prochaines négociations entre l’Égypte et les États-Unis. Trump et Al-Sissi partagent un intérêt commun : écarter le Hamas du pouvoir, garantir la sécurité d’Israël et éviter une répétition de l’incursion du 7 octobre. Cependant, pour que l’Égypte accepte un plan de déplacement, d’énormes concessions seraient nécessaires, et Al-Sissi pourrait ne pas être disposé ou capable de les accorder en raison des risques politiques, sécuritaires et stratégiques considérables.

Avec les prochaines rencontres diplomatiques, notamment la visite du roi Abdallah de Jordanie à Washington la semaine prochaine, et les négociations en coulisses entre responsables égyptiens et américains, les jours à venir promettent de nouvelles évolutions. L’issue dépendra de la mesure dans laquelle Trump est prêt à pousser sa stratégie du « bâton et de la carotte ».

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