
L’Indonésie s’est depuis longtemps positionnée comme un fervent défenseur de la Palestine. Les responsables gouvernementaux prononcent régulièrement des discours condamnant l’agression israélienne, et des manifestations de masse appellent à la justice et à la libération.
La Constitution du pays s’oppose explicitement au colonialisme et défend la dignité humaine. Pourtant, ces engagements risquent d’être sérieusement compromis par la collaboration continue de l’Indonésie avec le Tony Blair Institute for Global Change (TBI), une organisation récemment liée à la planification post-conflit de Gaza, dans une logique troublante de déplacement forcé.
Si l’Indonésie veut maintenir une position de principe sur la Palestine, elle doit mettre fin à ses liens avec le TBI.
Récemment, le Financial Times a révélé l’implication de l’Institut dans le “Projet Aurora” un plan de développement économique post-conflit pour Gaza élaboré par des hommes d’affaires israéliens et le Boston Consulting Group. Ce plan proposait la soi-disant “relocalisation volontaire” de jusqu’à 500 000 Palestiniens, à qui l’on offrirait 9 000 dollars en échange de leur départ de leur terre natale. Derrière ce langage technocratique se cachait une sinistre ambition : créer une “Riviera de Gaza” dépeuplée, favorable aux investisseurs, avec des complexes de luxe, des îles artificielles et des zones commerciales régulées par la blockchain.
Le TBI n’a pas été un simple spectateur. Son personnel a participé à des réunions, des groupes stratégiques et des discussions sur la communication autour du projet. Tony Blair lui-même a été informé du plan. Les réseaux de l’Institut ont contribué à relier le projet à la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), fortement critiquée pour avoir militarisé l’aide humanitaire sous la supervision des États-Unis et d’Israël. Les convois liés à la GHF auraient été impliqués dans la mort de plus de 700 Palestiniens dont beaucoup ont été tués en tentant désespérément d’accéder à de la nourriture.
Ce n’est pas une simple préoccupation morale abstraite. L’implication directe du TBI dans un tel projet exige des comptes. Pourtant, l’Institut continue d’être accueilli au plus haut niveau de l’appareil décisionnel indonésien et dispose désormais d’un bureau permanent à Jakarta, renforçant davantage son ancrage dans les cercles de pouvoir nationaux.
Le TBI conseille actuellement le ministère de la Communication et du Numérique, le ministère de la Santé et le ministère de la Réforme de l’appareil d’État. Il joue un rôle central dans INA Digital, le programme national de gouvernance technologique. Il contribue à la stratégie en matière d’intelligence artificielle, de cybersécurité, d’identité numérique et d’intégration des services publics. Il a aidé à façonner des politiques sur la surveillance biométrique, la préparation aux pandémies et la gouvernance des données.
Mais l’influence du TBI ne s’arrête pas là. Tony Blair lui-même siège au comité de pilotage du projet de nouvelle capitale indonésienne (IKN) un chantier générationnel censé dessiner le futur urbain, écologique et économique du pays. Il a également été nommé au conseil de surveillance de Danantara, le nouveau fonds souverain d’Indonésie, destiné à stimuler le développement national via des investissements massifs et des partenariats mondiaux.
Ces rôles confèrent à Tony Blair et à son Institut un accès extraordinaire aux priorités stratégiques de long terme de l’Indonésie. Cet accès s’accompagne désormais de lourdes implications éthiques et politiques.
Poursuivre une telle collaboration envoie un message clair et inquiétant : que l’Indonésie est prête à fermer les yeux sur une complicité dans un nettoyage ethnique, au nom de l’expertise technique ou d’un label d’investissement. Mais la crédibilité morale ne peut être dissociée des alliances institutionnelles. On ne peut soutenir la libération de la Palestine tout en légitimant des entités associées à leur dépossession.
De nombreuses institutions internationales et régionales crédibles sont capables d’offrir des conseils politiques et une aide au développement sans le fardeau d’une complicité en temps de guerre. Le TBI n’est pas la seule option c’est simplement la plus toxique politiquement.
L’héritage de Tony Blair est limpide. De l’invasion de l’Irak à son rôle d’envoyé du Quartet, et désormais par l’implication de son Institut à Gaza, il a systématiquement soutenu des projets ayant conduit à la dévastation de vies arabes et à l’érosion de leur souveraineté. Son rôle de conseiller en Indonésie n’est pas neutre c’est une tache sur le bilan moral du pays.
L’Indonésie est face à un choix : aligner sa politique nationale avec les principes qu’elle affirme défendre, ou rester complice par le maintien du partenariat. Rompre tous les liens avec le Tony Blair Institute et retirer Tony Blair de ses fonctions de conseiller est une étape nécessaire pour restaurer l’intégrité.
La solidarité exige de la cohérence. Le silence alimente la violence. Le partenariat équivaut à une approbation.
L’Indonésie ne peut pas jouer sur les deux tableaux.



























