Se tenir aux côtés de la Palestine : Résistance transnationale et évolution politique aux États-Unis

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Auteur du livre : Karam Dana Date de publication : Février 2025 Éditeur : Columbia University Press Format : Broché, 416 pages ISBN-13 : 978-0231186179

« Au cœur même du colonialisme de peuplement, c’est un jeu à somme nulle. C’est soit le récit du colonisateur, soit celui des habitants autochtones. » La préface du récent ouvrage de Karam Dana, To Stand with Palestine: Transnational Resistance and Political Evolution in the US (Columbia University Press, 2025), est sombre en ce qu’elle rappelle que le pouvoir du colonisateur est une réalité. Pourtant, comme le montre le livre, le soutien et la solidarité envers la Palestine, et avec les Palestiniens, relèvent d’un engagement transnational, et le récit palestinien n’est plus aussi isolé qu’auparavant.

Karam Dana note que la majorité de l’ouvrage ne traite pas du 7 octobre, mais affirme que, depuis cette date et le génocide israélien qui s’en est suivi à Gaza, les arguments qu’il avance n’en sont que plus renforcés. Entre l’adhésion aveugle à Israël et le refus de voir le génocide, l’Occident fait face à une évolution de l’opinion publique. Karam Dana note par exemple qu’un sondage mené quelques jours seulement après le 7 octobre montrait que 41 % des Américains soutenaient Israël, contre 32 % un mois plus tard.

Le livre se concentre sur les États-Unis et l’évolution de leur paysage sociopolitique, où les appels à la responsabilité se font de plus en plus pressants. « La Palestine, écrit Karam Dana, est devenue le véritable test de l’humanité de chacun. »

L’ouvrage explore quatre grands thèmes liés à l’identité palestinienne dans la diaspora : la diabolisation des Palestiniens ; la délégitimation de leur lutte ; les évolutions globales qui ont ouvert un espace pour les récits palestiniens ; et les défis que posent ces voix émergentes au récit dominant israélien.

Ces thématiques s’inscrivent dans un contexte que Karam Dana souligne dès le début : « L’histoire de la Palestine est celle d’une colonisation continue, d’une fragmentation et d’un démembrement social d’un côté, et d’une lutte anticoloniale sans fin de l’autre. La séparation intentionnelle et violente du peuple palestinien de ses terres par Israël a créé une société palestinienne dispersée à travers le monde. »

Cela plante aussi le décor du cadre colonial dominant, qui consiste à présenter le colonisateur comme démocratique afin de dépeindre le colonisé comme violent, ce qui conduit également à l’absence du récit des colonisés dans les cadres médiatiques dominants. Toutefois, avec l’émergence de groupes minoritaires aux États-Unis, le peuple palestinien est devenu plus visible. Et le 7 octobre a fait prendre conscience au public américain que leurs impôts financent un génocide, écrit Karam Dana. À mesure que la solidarité mondiale avec la Palestine se renforce, le lien entre les Palestiniens et leur terre se consolide, perturbant ainsi, dans une certaine mesure, l’association entre Israël et les États-Unis dans l’imaginaire américain.

Karam Dana analyse les facteurs qui influencent la perception américaine de la Palestine, notamment la persistance du discours orientaliste, l’exclusion des Palestiniens de la politique progressiste et la surveillance des voix critiques à l’égard de la politique étrangère des États-Unis. Il évoque l’effacement de la Palestine dans les livres pour enfants, l’influence du sionisme chrétien et celle des organisations pro-israéliennes sur l’opinion publique américaine. Ce contexte s’inscrit dans une tradition historique : le soutien américain au sionisme remonte à 1809 et est devenu incontournable après la Seconde Guerre mondiale.

La violence policière aux États-Unis a aussi rapproché une partie de l’opinion américaine de la cause palestinienne, notamment via l’influence du mouvement Black Lives Matter. Par ailleurs, la montée du journalisme citoyen amplifie la solidarité, comme cela a été observé lors des expulsions à Sheikh Jarrah. Les réseaux sociaux offrent une alternative aux médias traditionnels, exposant davantage les atrocités coloniales d’Israël. Le changement d’opinion est visible, selon Karam Dana, chez les étudiants, et même dans certaines synagogues qui se déclarent désormais antisionistes.

L’activisme aux États-Unis a aussi contribué à cette transformation sociopolitique. Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), ciblant les entreprises complices de la violence coloniale israélienne, a gagné du terrain, tout comme le boycott académique et culturel d’Israël. Karam Dana note un tournant après le 7 octobre, lorsque des militants du monde entier se sont unis pour remettre en question les politiques de leurs gouvernements à l’égard d’Israël. Il cite aussi des campagnes contre des entreprises comme Starbucks et McDonald’s, accusées de soutenir Israël sans impartialité.

Karam Dana s’appuie également sur des données pour illustrer la baisse du soutien à Israël et la montée de celui envers la Palestine. Il cite le Crown Counting Consortium, qui note qu’au 28 novembre 2023, il y avait eu 1 896 manifestations pro-palestiniennes aux États-Unis, rassemblant des centaines de milliers de participants. Il souligne que ces mobilisations populaires ne sont pas reflétées par les représentants politiques : un quart des manifestations pro-israéliennes ont été soutenues par des élus, contre seulement 1 % pour les manifestations pro-palestiniennes.

Les voix pro-palestiniennes sont souvent ostracisées aux États-Unis les exemples d’universitaires démis de leurs fonctions sont nombreux. Karam Dana relie cela à un système éducatif « prédisposé à soutenir le statu quo », en validant le récit israélien et en invalidant celui des Palestiniens, ce qui limite la pensée critique et marginalise les étudiants palestiniens.

Karam Dana approfondit aussi la question de l’exclusion diplomatique, liée à l’aide militaire américaine à Israël, qu’il décrit comme « plus complexe que la politique étrangère envers d’autres pays ». Le langage diplomatique participe à cette exclusion : le terme de « conflit arabo-israélien », inventé à Washington, permet de dissoudre les Palestiniens dans une entité arabe plus large. Il rappelle aussi que Benjamin Netanyahu a publiquement évoqué une « réinterprétation » des accords d’Oslo pour en vider le sens. Aux Nations Unies, les États-Unis protègent Israël et font pression sur d’autres pays pour qu’ils fassent de même. Sur le plan national, la loi israélienne anti-boycott a conduit à l’exclusion de certains citoyens américains de services publics en raison de leur activisme pro-boycott.

Le livre est extrêmement documenté et offre une multitude d’exemples d’activisme transnational en faveur des Palestiniens. Ce qui ressort avec force, c’est que plus Israël persiste dans sa violence coloniale aujourd’hui qualifiée de génocide, plus les voix pour la Palestine se font entendre. De la même manière que le colonialisme est une entreprise continue, que la Nakba est une blessure toujours vive, l’activisme pour la Palestine poursuivra le même chemin.

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