« Nous regardons avec horreur ce qui se passe avec l’administration Trump de l’autre côté de la frontière… Cela signifie que nous devons nous battre fermement pour empêcher ces idées de s’implanter ici », avertit Reem Sheet.
TRENTON, Canada
Alors que les élections fédérales canadiennes entrent dans leur dernière ligne droite, les musulmans du pays affirment clairement qu’ils attendent du prochain gouvernement bien plus qu’une simple reconnaissance de l’islamophobie : ils réclament des mesures décisives pour la combattre.
Les chiffres alarmants soulignent les dangers auxquels sont confrontés les musulmans au Canada, un pays qui, en 2024, détenait la triste distinction d’avoir connu le plus grand nombre d’assassinats ciblés de musulmans parmi les pays du G7.
Parmi ces tragédies figurent le massacre de six musulmans dans une mosquée de Québec en 2017 et le meurtre délibéré de quatre membres d’une famille musulmane renversés par un camion à London, en Ontario, en 2021.
Malgré ces événements bouleversants, la question cruciale de l’islamophobie peine à trouver une place significative dans le débat politique à l’approche des élections du 28 avril.
Les politiques erratiques du président américain Donald Trump allant de sanctions douanières sévères à des menaces d’annexion du Canada ont largement monopolisé l’attention médiatique, laissant peu de place aux discussions sur les crimes haineux ou la protection des droits des minorités.
Cependant, les groupes de défense des musulmans restent déterminés à maintenir la lutte contre l’islamophobie au cœur du débat.
Selon Reem Sheet, responsable du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), qui représente environ 200 000 partisans parmi les 1,8 million de musulmans du pays, les enjeux n’ont jamais été aussi importants.
Dans une interview accordée à Anadolu, elle a souligné l’urgence de mesures politiques concrètes attendues par les musulmans canadiens de la part de leurs dirigeants.
« Les musulmans canadiens veulent des engagements réels sur des questions comme une stratégie nationale contre l’islamophobie, des actions concrètes contre les crimes haineux, et une position claire sur les droits humains, notamment à Gaza », a déclaré Reem Sheet.
Elle a mis en garde contre les dérives inquiétantes aux États-Unis, où l’administration Trump cible ouvertement les militants pro-palestiniens par des expulsions et des interdictions d’entrée. De nombreux musulmans canadiens observent ces tendances avec angoisse, craignant qu’elles ne se répandent au Canada si elles ne sont pas fermement combattues.
« Nous regardons avec horreur ce qui se passe avec l’administration Trump… Cela signifie que nous devons nous battre fermement pour empêcher ces idées de s’implanter ici, qu’il s’agisse d’interdictions de voyager pour les musulmans, de l’annexion de Gaza ou d’autres attaques dangereuses contre les libertés civiles », a-t-elle insisté.
Menaces contre la liberté d’expression et montée de l’islamophobie
Les menaces contre les libertés civiles et la liberté d’expression ne se limitent pas aux États-Unis. Des institutions canadiennes ont récemment montré des signes préoccupants d’intolérance envers les voix pro-palestiniennes.
Par exemple, la Advocates’ Society un important groupe juridique canadien a récemment annulé l’invitation faite à Tareq Hadhad, réfugié syrien connu pour son plaidoyer en faveur de la paix, après qu’il a appelé sur X à la fin de la guerre meurtrière d’Israël à Gaza.
Bien que la société ait finalement présenté ses excuses à Hadhad, l’événement prévu en juin a été annulé sans explication.
Le Canada a certes progressé, notamment avec la nomination en 2023 d’Amira Elghawaby au poste de Représentante spéciale à la lutte contre l’islamophobie, mais beaucoup reste à faire.
« L’islamophobie continue malheureusement de progresser au Canada. Les crimes haineux contre les musulmans persistent, et nos équipes juridiques et éducatives sont débordées », a expliqué Reem Sheet, principale responsable des communications et des affaires publiques au CNMC.
« Nous avons vu des avancées importantes, mais il faut aller plus loin. Il nous faut une éducation qui ne se contente pas de parler d’islamophobie, mais qui la combat activement. »
Elle s’est abstenue de soutenir un parti en particulier, insistant plutôt sur la nécessité d’un engagement clair de tous les dirigeants.
« Nous continuons à dialoguer avec tous les candidats, et nous appelons chaque leader à s’engager pour la défense des droits humains, la lutte contre l’islamophobie et contre toutes les formes de haine », a-t-elle déclaré.
Appel à une “position de principe” sur Gaza
La position du Canada sur la guerre d’Israël à Gaza est aussi une préoccupation majeure. Reem Sheet a rappelé que les musulmans canadiens observent attentivement les réactions des responsables politiques et attendent plus que de simples déclarations de sympathie.
« Certains dirigeants ont fait des déclarations plus fortes que d’autres, mais ce dont nous avons besoin maintenant, ce sont des actions concrètes sur les questions qui comptent pour les Canadiens », a-t-elle affirmé.
« Nous appelons tous les dirigeants à adopter une position de principe sur Gaza et espérons que le Canada jouera un rôle constructif pour mettre fin au conflit. »
Pour les musulmans, le prochain gouvernement canadien doit « adopter une position claire et de principe », a-t-elle insisté.
« Cela signifie plaider pour la protection immédiate des civils, assurer un accès humanitaire sans restriction, et défendre le droit international. Le Canada a la responsabilité d’agir avec intégrité, ce qui inclut un cessez-le-feu, la levée du blocus, et la reddition de comptes pour les violations des droits humains. »
Enfin, Reem Sheet a abordé le rôle des médias canadiens dans la formation des perceptions et attitudes envers les Palestiniens, les Arabes et les musulmans en général, soulignant leur pouvoir d’influence.
« La représentation compte, et trop souvent, les musulmans dans les médias sont réduits à des stéréotypes nuisibles », a-t-elle déclaré.
« Cela renforce des perceptions dangereuses qui se traduisent par de la discrimination et de la violence dans la réalité. Nos équipes juridiques et éducatives sont confrontées à cela trop souvent, et elles sont débordées dans leurs efforts pour changer cette réalité pour les familles musulmanes. »