La reconnaissance de l’État palestinien par la France va-t-elle isoler les États-Unis ?

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Dans un monde fracturé, où les alliances s'effritent et où les grandes puissances se replient, le président français Emmanuel Macron s'est imposé comme un défenseur inattendu de la cause palestinienne et de la reconnaissance d’un État palestinien.

Emmanuel Macron a déclaré son intention que la France prenne des mesures concrètes en vue de la reconnaissance d’un État palestinien « dans les mois à venir », lors d’une interview télévisée le 8 avril.
Selon les analystes, il cherche ainsi à montrer que Paris est un « partenaire plus mûr et plus fiable » qu’un États-Unis de plus en plus isolationniste sous la présidence de Donald Trump.

« C’est un jeune politicien ambitieux, enthousiaste à l’idée d’endosser le rôle de « Leader du Monde libre » au moment où les États-Unis quittent ou déstabilisent les alliances occidentales, que l’Allemagne tergiverse sur ses affaires internes et que le Royaume-Uni fait face à une perte de pertinence après le Brexit », a déclaré Monica Marks, professeure en politique du Moyen-Orient à l’Université de New York à Abou Dhabi.

Dans ce vide, le président français « apparaît comme le dirigeant occidental le plus charismatique » capable de guider l’Union européenne vers une stratégie tournée vers l’avenir « indépendante de Washington », a-t-elle expliqué à This Week In Asia.

Le soutien à la reconnaissance d’un État palestinien « envoie un signal au monde au-delà d’Israël et des États-Unis : la France est un acteur global plus libre, moins soumis aux préférences de Washington », ajoute-t-elle.

Emmanuel Macron défend un retour aux négociations pour résoudre le conflit israélo-palestinien vieux de près de 80 ans. Le 7 avril, il a annoncé que Paris co-organiserait avec l’Arabie saoudite une conférence des Nations unies en juin sur la solution à deux États. Le président français insiste sur le fait que la sécurité à long terme d’Israël passe par l’établissement d’un État palestinien – un argument partagé par l’Arabie saoudite, le Qatar et d’autres pays arabes qui résistent à la pression américaine pour normaliser leurs relations avec Israël sans conditions.

Pour renforcer sa position, Emmanuel Macron a cultivé des partenariats stratégiques avec Riyad et l’Égypte, médiateur clé dans les efforts pour mettre fin à la guerre entre Israël et Gaza aux côtés du Qatar. Lors d’une visite au Caire le 6 avril, il a rencontré le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le roi Abdallah de Jordanie, réitérant son soutien au plan égyptien de reconstruction post-conflit à Gaza, avec une gouvernance confiée à une Autorité palestinienne réformée.

Il s’est également opposé à la proposition controversée de Donald Trump d’un complexe balnéaire de style Riviera à Gaza, impliquant le déplacement forcé d’environ 2 millions de Palestiniens vers l’Égypte et la Jordanie une idée rejetée par les deux pays.

Même si le président américain a semblé faire marche arrière, plusieurs ministres israéliens ont adopté ce plan dans leur stratégie d’annexion accélérée de Gaza et de la Cisjordanie, compromettant davantage les chances d’un État palestinien.

Une fenêtre étroite pour la diplomatie

L’initiative française intervient à un moment crucial, sur fond d’intensification des actions militaires israéliennes en Cisjordanie.

« La perspective d’une solution à deux États devient chaque jour plus difficile », affirme l’analyste politique française Souhire Medini. Une annexion officielle de la Cisjordanie rendrait un État palestinien « pratiquement impossible », selon elle. L’appel à l’action de la France est donc « sans doute aussi lié à la détérioration de la situation sur le terrain » dans les territoires occupés.

En avançant vers la reconnaissance d’un État palestinien, la France pourrait « envoyer un message » au Moyen-Orient et au Sud global : « l’Occident n’est pas uni » derrière l’administration Trump et le gouvernement de Benjamin Netanyahou, déclare Giorgio Cafiero, PDG du cabinet Gulf State Analytics à Washington.

Il estime que le plan d’Emmanuel Macron « résonne bien en France et dans d’autres pays de l’UE », dont plusieurs ont déjà franchi le pas alors qu’un comité spécial de l’ONU affirmait l’année dernière que le conflit actuel équivaut à un génocide.

« Si la France agit, cela donnera une impulsion significative à cette dynamique et, au moins symboliquement, fera une énorme différence », dit-il.

Même si Paris a « peu d’influence directe sur les événements à Gaza », sa capacité à se coordonner avec d’autres nations occidentales partageant ses vues, ainsi qu’avec des partenaires arabes, « renforce la portée de sa voix », selon Souhire Medini, chercheuse invitée à l’Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient.

« Pour beaucoup, la décision de la France de voter en faveur du statut d’observateur non membre pour la Palestine à l’ONU en 2012 et de rendre cette décision publique a joué un rôle déterminant pour obtenir un large soutien, notamment parmi les pays européens », dit-elle.

Si la France reconnaissait diplomatiquement un État palestinien, cela « augmenterait la pression sur d’autres démocraties occidentales », y compris le Royaume-Uni, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, selon Monica Marks, et pourrait déclencher un « effet domino diplomatique qui isolerait davantage les États-Unis ».

Dans un contexte de pertes humaines massives à Gaza et d’invasions israéliennes au Liban et en Syrie l’année dernière, le « soutien rigide de Washington au gouvernement Netanyahou ne passe pas bien » auprès des dirigeants du Golfe et de leurs populations, selon Giorgio Cafiero.

Cela contribue à une « impression générale » dans la région que la politique américaine au Moyen-Orient est un facteur d’« instabilité menaçant la paix et la sécurité », ajoute-t-il.

« Il est facile de voir les efforts d’Emmanuel Macron comme un message adressé aux États du Golfe : la France est une puissance plus raisonnable, avec une approche plus sensée des questions de sécurité au Moyen-Orient », affirme-t-il.

Jean-Loup Samaan, chercheur à l’Institut du Moyen-Orient de l’Université nationale de Singapour, estime que le président français voit dans la posture « isolationniste et à somme nulle » de Washington une opportunité de séduire des dirigeants du Golfe désireux de diversifier leurs alliances.

La « troisième voie » d’Emmanuel Macron, qui promeut l’autonomie stratégique des puissances intermédiaires souhaitant éviter d’être prises dans la rivalité sino-américaine, « séduit à coup sûr des pays comme les Émirats arabes unis, qui veulent réduire leur dépendance à l’égard des États-Unis », selon lui.

Cette approche s’inscrit dans la politique étrangère plus large de la France, illustrée par sa stratégie indo-pacifique et des partenariats comme l’initiative trilatérale France-Inde-Émirats lancée en 2023. Ces partenariats minilatéraux visent moins à combler le vide laissé par les États-Unis qu’à affirmer « la volonté de Paris de jouer un rôle mondial », selon Souhire Medini.

Malgré l’activisme diplomatique d’Emmanuel Macron, les analystes avertissent de ne pas surestimer l’influence de la France dans la région. « La France fait partie de l’équation », affirme Giorgio Cafiero, mais ne peut remplacer les États-Unis en tant que principal garant de la sécurité dans le Golfe malgré la frustration croissante vis-à-vis de la politique américaine.

Souhire Medini abonde dans ce sens, soulignant que les initiatives d’Emmanuel Macron traduisent la volonté de Paris d’équilibrer partenariats stratégiques et engagement multilatéral.

Qu’elles produisent des résultats tangibles ou restent des gestes symboliques, ces démarches reflètent la détermination du président à positionner la France comme puissance diplomatique majeure dans un monde de plus en plus fragmenté.

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