Dans une tribune publiée dans Libération des personnalités de tous bords expriment leur indignation face aux violences policières. Leïla Slimani, Eric Cantona, Rachida Brakni ont réagi au lynchage de Michel par trois policiers dans le 17e arrondissement de Paris.

Rachida Brakni

«J’ai découvert la vidéo du tabassage, glaçante, atroce, sur Instagram. Sentiment d’horreur et de colère. Mais assez vite, je me suis aussi dit : « Putain, en tout cas, ça va servir. » Servir à contester cette loi scandaleuse, inadmissible, qui vise à empêcher de filmer la police, à rendre illégal ce type de vidéo. Cette loi qui a été demandée par les syndicats de policiers, serait un blanc-seing.

«Les violences policières n’ont pas commencé avec ce gouvernement, l’histoire de la société française en est jalonnée. Moi, par exemple, j’ai grandi dans un quartier [à Athis-Mons, dans l’Essonne, ndlr], et quand les flics arrivaient, c’était en cow-boys, tu ne te sentais pas en sécurité. Avec les violences exercées sur les gilets jaunes, certains ont pris la mesure de ce que ça pouvait être, et que ce n’était pas forcément « le gentil flic et le méchant Arabe ou Noir », que c’était peut-être un peu plus complexe que ça.

«Alors on dit « acte isolé », mais depuis plusieurs mois, il y en a eu beaucoup. Quand Darmanin dit, en parlant de la mort de Cédric Chouviat, « quand j’entends le mot ‘violence policière’, moi, personnellement, je m’étouffe », c’est quoi qu’il envoie comme signal ? C’est l’Etat qui cautionne, ni plus ni moins. C’est d’ailleurs ce qui m’inquiète et qui me conforte dans le sentiment que j’ai fait le bon choix en partant vivre à Lisbonne il y a quatre ans [en réaction au projet de loi d’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux] : pas tant les dérives de certains policiers, mais celles de ceux qui sont au-dessus et qui, pour des raisons idéologiques ou électorales, jouent avec le feu. Chaque fois que je reviens en France, je ressens ça : une tension, une violence qui s’accentue, un glissement.»

Éric Cantona

«Ce qu’on vit, c’est Papon en octobre 1961 qui dit « allez-y, je vais vous couvrir »… On a retrouvé des dizaines d’Algériens dans la Seine. Là on ne dit pas aux flics « allez-y », mais cette proposition de loi qui vise à interdire de filmer les policiers favorise un sentiment d’impunité. Et il implique qu’il y a des choses, des comportements à cacher. Cette loi émane d’un désir clair : pouvoir faire ce qu’on n’a pas le droit de faire en étant couvert. Si cette loi passe, ce serait l’escalade.

«Je pense que la majorité des flics sont humains, mais il y a toujours des abrutis. Cela dit, tout de même, quatre flics et pas un pour dire à un moment donné « les gars, vous vous rendez compte de ce qu’on est en train de faire là ? »… Cet acharnement, et après le mensonge… Sans les vidéos, le gars serait en cabane et les flics continueraient d’exercer. Là, vu le scandale, il n’était pas possible de faire autrement que de les suspendre. Mais pour moi, ces flics sont aussi des victimes, des instruments. Il faut chercher le Papon d’aujourd’hui, remonter la hiérarchie.

«Face à ce genre d’événement, toute personne qui réagit est la bienvenue. Que Griezmann et Mbappé s’expriment, c’est important parce qu’ils vont toucher des gens qui ne se seraient jamais sentis concernés. On reproche tellement souvent aux sportifs de ne pas s’exprimer, de rester dans leur petit monde… Après, il y a s’exprimer et être dans les actes. Certains sportifs ont vraiment contribué à changer les choses, comme Sócrates, Carlos Caszely ou Rachid Mekhloufi.»

Leïla Slimani

«On est nombreux à ressentir un profond dégoût et aussi de la peur car ceux qui sont censés nous protéger peuvent se retourner contre nous. Cela fait deux ans qu’on vit ces violences policières et il nous a fallu tout ce temps pour réagir, nous révolter. On s’est laissé bercer par cette idée que les mauvais éléments ne doivent pas cacher les autres. Et on est tiraillés : terrorisés par les terroristes et contents que la police soit là pour nous en protéger mais terrorisés aussi par l’idée d’aller manifester. Et puis cette question du racisme dans la société française, que montre le racisme dans la police, c’est un abcès qu’il va falloir crever. Je refuse l’argument de la brebis galeuse. J’ai les cheveux frisés et la peau mate, je sais ce que c’est qu’un flic qui me demande avec insistance mes papiers, même si je ne suis pas la plus à plaindre. Il va falloir trouver un moyen de nous réconcilier. Est-ce que nos gouvernants peuvent y parvenir ? Ils n’ont pas le choix, c’est leur devoir et il y a urgence. On ne peut pas se prétendre le pays des droits de l’homme et avoir des policiers qui prononcent les mots « bicots » et « sale nègre » et qui traitent les migrants avec un tel mépris ! Si on n’investit pas dans ces quatre piliers que sont la police, la justice, la santé et l’éducation, on ne pourra pas transmettre nos valeurs aux générations futures.»

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