Évaluer le mouvement pro-Palestinien au Royaume-Uni

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Des personnes, brandissant des banderoles et des drapeaux palestiniens, défilent en solidarité avec la Palestine et appellent à un cessez-le-feu à Gaza, à l’occasion du 77e anniversaire de la Nakba, à Londres, au Royaume-Uni, le 17 mai 2025.

Avoir assisté à la dernière manifestation de masse en solidarité avec la Palestine, coïncidant avec la commémoration de la Nakba, m’a conduit à une réflexion sur l’efficacité de ces actions à générer un véritable changement politique. Malgré une participation massive et un courage indéniable face à la répression policière et à la persécution ciblée des leaders du mouvement, une chose demeure claire : aucun résultat politique significatif n’a été obtenu.

La situation en Palestine, et particulièrement à Gaza, reste inchangée. Le génocide continue. Certains changements dans le discours politique britannique sont perceptibles, mais ils ne suffisent pas à influencer les événements sur le terrain. D’ailleurs, ils ne sont pas nécessairement le fruit de ces mobilisations, mais s’inscrivent plus probablement dans des dynamiques géopolitiques plus larges, comme les fractures dans l’alliance transatlantique ou la nouvelle orientation de la politique étrangère européenne amorcée sous l’administration Trump.

Quand je parle de résultats politiques, je ne fais pas référence à une opposition morale au génocide, ni à une prise de position de principe, ni même à l’évolution de l’opinion publique. Ces éléments ne sont des avancées concrètes que s’ils peuvent être convertis en véritables leviers d’action. Un certain levier a certes été créé, comme en témoigne l’abandon du Parti travailliste dans certaines circonscriptions au profit de candidats indépendants pro-Gaza. Mais cela reste insuffisant. Cela n’a pas changé la réalité matérielle à Gaza, ni modifié les exigences du gouvernement britannique envers Israël. L’alliance entre le Royaume-Uni et Israël demeure intacte, aucun embargo sur les armes n’a été imposé, et le récit médiatique dominant reste en grande partie favorable à Israël, ou du moins continue à justifier ses actions.

Les critiques du mouvement de protestation soulignent souvent deux limites majeures : les itinéraires contrôlés et les récits restreints. Les manifestations qui suivent des parcours dictés par la police ne menacent guère les intérêts de l’État. Elles n’occupent pas l’espace public de façon à mobiliser des ressources ou forcer des concessions. Ce format de manifestations « autorisées » limite l’imaginaire politique et les actions concrètes. Elles deviennent des soupapes de sécurité, canalisant la colère populaire sans déboucher sur un véritable changement de politique ou une remise en question plus systémique.

De plus, le manque de renouvellement dans les revendications comme l’insistance sur le cessez-le-feu sans aller plus loin malgré l’intensification de la guerre traduit un imaginaire restreint. L’incapacité ou la réticence du mouvement à revendiquer un embargo sur les armes avant très récemment en est un exemple frappant.

Cette critique est partagée par des courants très différents : des partisans de l’action directe qui voient les manifestations comme une distraction face aux véritables leviers de pression (comme le sabotage des entreprises complices), jusqu’aux figures institutionnelles qui estiment que le changement passe par le long travail de construction d’institutions et de production de savoirs pour influencer la politique. Étonnamment, ces deux camps aboutissent à une conclusion commune sur l’inefficacité des manifestations.

Mais ces critiques omettent des éléments essentiels. Pour de nombreux participants, manifester est le niveau maximal d’engagement politique et de prise de risque. Le choix n’est pas entre la manifestation et l’action directe, mais entre une expression collective de dissidence et le repli individuel, seul chez soi face à l’actualité, sans exutoire.

Les manifestations remplissent des fonctions importantes : elles créent un sentiment de solidarité morale, offrent des moments pédagogiques pour les jeunes générations et servent de plateforme à la construction de coalitions locales et nationales. Elles permettent à chacun de se sentir entendu et relié à une communauté, ce qui est un apport émotionnel et psychologique souvent ignoré par ceux qui ne considèrent que les résultats politiques concrets.

En outre, les manifestations offrent une visibilité publique constante du mécontentement, ce qui peut faire évoluer les récits dominants si une organisation y est investie. Le mouvement “Mask of Maersk”, initié par la Palestinian Youth Movement, en est un bon exemple : en dénonçant les exportations d’armes britanniques vers Israël, il a permis un recentrage des revendications vers l’embargo. De même, des groupes comme Palestine Action utilisent les manifestations pour recruter et sensibiliser.

Ces critiques sous-estiment également l’immense travail d’organisation nécessaire au maintien d’un tel mouvement. Ces mobilisations reposent sur des décennies d’efforts militants, sur l’héritage des mouvements contre la guerre en Irak, et sur la mouvance socialiste qui a autrefois animé le Parti travailliste autour de figures comme Jeremy Corbyn. Rassembler syndicats, communautés juives et musulmanes, réseaux antiracistes, exige un travail profond de confiance et de coordination.

Les nouveaux groupes militants qui appellent à une escalade immédiate devraient reconnaître et respecter ces bases. Tenter de mobiliser sans comprendre cet héritage revient à sous-estimer la réalité du travail communautaire.

L’analyse de Charles Tripp sur l’espace public soutient ces observations : les manifestations reprennent l’espace public et réaffirment les droits citoyens par l’action collective. Comme le souligne Kaveh Ehsani, l’espace public n’est pas naturellement démocratique il le devient par des actes délibérés comme les mobilisations de masse. Même si les manifestations autorisées ne suffisent pas à elles seules à provoquer un changement immédiat, elles forment une base indispensable à des engagements politiques plus radicaux et durables.

En somme, malgré des critiques fondées sur leur efficacité politique directe, les manifestations de masse offrent des espaces cruciaux de solidarité, de transmission, de mobilisation et de construction. Leur potentiel dynamique devrait être reconnu comme essentiel bien qu’insuffisant à lui seul dans la lutte pour un changement politique véritable.

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