France : Les écoles privées musulmanes menacées de fermeture

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Une collégienne portant un hijab lève la main lors d’un cours d’éthique islamique à l’école Averroès, le plus grand établissement d’enseignement musulman de France, qui a perdu son financement public pour des raisons de manquements administratifs et de pratiques pédagogiques contestables, à Lille, France.

Plus de 600 élèves du primaire et du secondaire du groupe scolaire privé musulman Al Kindi, situé en banlieue de Lyon, dans le centre-est de la France, risquent de ne pas retourner dans leur établissement à la rentrée prochaine.

Le 10 janvier, la préfecture a mis fin au contrat d’association avec l’État de cet établissement fondé en 2007 et a supprimé les subventions publiques d’un montant de 1,5 million d’euros (1,53 million de dollars), qui servaient à couvrir les frais de scolarité ainsi que les salaires d’une trentaine d’enseignants.

La préfète Fabienne Buccio a déclaré avoir pris cette décision sur la base d’un rapport d’inspection de l’académie, qui accusait Al Kindi d’une série de « défaillances » pédagogiques et administratives ainsi que d’« atteintes aux valeurs de la République ».

Vu par Middle East Eye, le rapport de l’inspection, menée en octobre 2024 après une première inspection en avril de la même année, mentionne la découverte de deux livres jugés « radicaux » dans la bibliothèque de l’école, dont l’un « faisant la promotion du jihad violent ».

Il met également en avant des propos controversés tenus par un professeur sur sa chaîne YouTube, où il soutenait des imams controversés, dont certains ont été expulsés de France. Le rapport dénonce aussi un règlement intérieur jugé discriminatoire envers les filles, notamment une interdiction des hauts moulants ou du maquillage.

« Loin d’être une série de faits isolés, ces défaillances et dysfonctionnements démontrent la proximité des écoles Al Kindi avec la pensée des Frères musulmans, dont le projet est contraire aux valeurs de la République », a déclaré la préfecture.

Plus grande organisation musulmane sunnite au monde, fondée en 1928 par le savant égyptien Hassan al-Banna, et impliquée dans la politique démocratique dans plusieurs pays, les Frères musulmans sont depuis longtemps dans le viseur des autorités françaises.

En octobre, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a déclaré qu’il n’excluait pas de classer les Frères musulmans comme un groupe « terroriste » et de l’interdire, tout en prônant la création d’une nouvelle infraction pénale pour lutter contre l’islam politique en France.

« Nous devons être particulièrement vigilants face à cette infiltration islamiste qui se répand au sein des associations, des clubs sportifs, des écoles et même des collectivités locales », a déclaré Bruno Retailleau.

Moins d’écoles, plus de contrôles

Il y a environ un an, des motifs similaires avaient été avancés par la préfecture du Nord pour sanctionner Averroès, le principal lycée privé musulman sous contrat du pays, situé à Lille.

Malgré plusieurs recours, l’établissement n’a pas réussi à faire annuler la décision.

Les contrats d’association entre l’État et les écoles privées ouvrant droit à des subventions, en échange de l’enseignement des programmes de l’Éducation nationale et de l’accueil des enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance, Averroès a dû compenser en doublant les frais de scolarité. En conséquence, l’établissement a perdu la moitié de ses élèves.

« Dans les deux cas, ce sont des mesures politiques. On s’attaque aux musulmans pour faire oublier ce qui ne va pas en France », a déclaré Idrissi, dont les enfants sont scolarisés à Al Kindi, à MEE.

« Ce sont des mesures politiques. On s’attaque aux musulmans pour faire oublier ce qui ne va pas en France. »

– Idrissi, un parent dont les enfants sont scolarisés à Al Kindi

« Le Rassemblement national dicte sa loi et tout le monde rentre dans le rang. Nous sommes sacrifiés comme les Juifs dans les années 1940 », a-t-il ajouté, en référence au parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen, qui détient le plus grand nombre de sièges au parlement.

Dans une tribune publiée dans un journal local, Farid Benmoussa, conseiller d’une ville ouvrière de la banlieue lyonnaise, a souligné que « seuls deux lycées ont perdu leur accréditation en 30 ans, et sans surprise, ce sont deux écoles musulmanes ».

Pourtant, comme Averroès, Al Kindi jouissait jusqu’alors d’une excellente réputation, avec de très bons résultats au baccalauréat.

Le directeur d’Al Kindi, Abdelouahb Bakli, a déclaré que son groupe scolaire respectait les valeurs de la République et que les lacunes constatées lors de l’inspection étaient mineures et avaient été en grande partie corrigées.

« Depuis trois ans, les écoles privées musulmanes font face à de nombreuses inspections. Les écoles privées catholiques sont inspectées une fois tous les 15 ans, tandis que les écoles privées musulmanes, qu’elles soient sous contrat ou non, sont inspectées chaque année », a-t-il affirmé.

Selon la Fédération Nationale de l’Enseignement Privé Musulman (FNEM), il existe 127 écoles confessionnelles musulmanes en France, mais seulement 10 sont entièrement ou partiellement sous contrat.

Si la décision concernant Al Kindi est maintenue, il ne restera qu’une seule classe sous contrat dans tout le pays en septembre.

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En comparaison, 7 045 écoles catholiques sont sous contrat, scolarisant chaque année deux millions d’élèves (soit un sur six). Dans un rapport publié l’an dernier, deux députés ont critiqué le manque de suivi financier et pédagogique de ces établissements catholiques, majoritairement financés par des fonds publics.

Dans un communiqué publié en octobre, la FNEM a dénoncé un traitement inégal.

« Alors que l’islam est la deuxième religion en France, la communauté musulmane reste largement sous-équipée en écoles privées », a déclaré l’organisation, rappelant qu’environ 10 % de la population, soit quelque 6,8 millions de personnes, sont musulmanes, faisant de l’islam la deuxième religion du pays après le catholicisme.

« Depuis cinq ans, l’ouverture d’écoles privées musulmanes est très limitée en comparaison avec d’autres réseaux. Pire, la tendance est à la fermeture administrative ou à la résiliation des contrats d’association », a souligné Makhlouf Mameche, président de la FNEM.

Il a noté que la demande pour des écoles musulmanes n’avait jamais été aussi forte alors que l’offre n’avait jamais été aussi réduite, ce qui reflète « la situation problématique dans laquelle se trouve l’enseignement privé musulman en France ».

Citant Averroès mais aussi Avicenne – un collège privé musulman hors contrat situé à Nice, qui avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral de fermeture finalement annulé par la justice – la FNEM a estimé que « ces décisions portent atteinte au principe fondamental d’égalité de traitement et réduisent injustement la liberté d’enseignement ».

« Disparité de traitement »

Depuis la loi de 2021 « confortant le respect des principes de la République », portée par le président Emmanuel Macron pour lutter contre le « séparatisme », 11 écoles ont été fermées pour « radicalisation ».

Cette législation a été accusée par ses détracteurs d’être discriminatoire à l’égard des musulmans, en élargissant les motifs de fermeture des mosquées et de dissolution des associations communautaires, en restreignant l’instruction à domicile et en introduisant un délit de « séparatisme » passible de cinq ans de prison.

« C’est de la politique qui se drape de faux arguments éducatifs, [portant] une grande violence contre les musulmans de France. »

– Hakim Chergui, avocat de l’école Al Kindi et cofondateur

À Al Kindi, les inspections, qui avaient lieu annuellement avec des résultats plutôt positifs, se sont multipliées à un rythme plus soutenu.

« Il y en a eu cinq en 2024. L’inspection d’avril a eu lieu de manière inopinée en présence de 12 inspecteurs. C’est celle qui a conduit au rapport de saisine de la commission nationale de l’éducation par la préfecture, accompagné d’une demande de résiliation du contrat avec l’État », a déclaré Karim Chihi, directeur adjoint d’Al Kindi, à MEE.

Karim Chihi a précisé que l’école avait appris la décision par la presse et non par une lettre officielle, comme cela se fait habituellement.

« Nous avons été surpris par cette mesure, car la réunion de la commission de l’éducation s’était déroulée de manière très courtoise », a ajouté Karim Chihi.

« S’il y avait eu des lacunes, pourquoi n’ont-elles pas été découvertes lors des inspections précédentes ? Nous aurions au moins reçu des avertissements pour y remédier. Mais il n’y avait jamais eu d’observations négatives », a-t-il déclaré à MEE.

Les avocats de l’école, Hakim Chergui et Sefen Guez Guez, devraient bientôt engager des poursuites judiciaires contre la préfecture ainsi que contre la région, qui a décidé de couper ses subventions à l’école dès janvier, sans attendre la fin du partenariat avec les collectivités locales en septembre.

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Selon Chergui, également cofondateur d’Al Kindi, les arguments avancés dans le rapport de la préfecture ne sont que des prétextes.

« C’est de la politique qui se drape de faux arguments éducatifs », a-t-il déclaré à MEE, estimant que la décision de l’administration « porte une grande violence contre les musulmans de France ».

Dans une lettre ouverte adressée le 18 janvier au président Macron, le Conseil des mosquées de la région lyonnaise a souligné que malgré un rapport d’inspection négatif l’an dernier sur le lycée catholique parisien Stanislas, accusé d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme, il n’avait pas perdu son contrat avec l’État.

« Une telle disparité de traitement ne peut que soulever des interrogations légitimes sur l’égalité de traitement entre citoyens et institutions dans notre pays », indiquait la lettre.

De leur côté, des chercheurs attribuent la résiliation du contrat d’État avec Al Kindi, comme avec Averroès, à « une politique de suspicion » à l’égard de l’islam.

Ils avertissent que ce type de mesure pourrait favoriser « la montée d’écoles clandestines ».

Pendant ce temps, afin d’empêcher la fermeture d’Al Kindi, sa direction a lancé une campagne de financement en ligne, qui a déjà récolté plus de 255 000 euros.

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