Des professeurs se sont confiés au journal L’Humanité concernant l’enseignements de la laïcité à l’école. Nombre d’entre eux, révèlent « l’instrumentalisation contre l’Islam » également ressentie par les élèves.

La laïcité, « dans notre établissement, il nous a fallu prendre de force deux heures pour en parler, en se déclarant grévistes », raconte Claire, professeure de philosophie dans un lycée de la banlieue parisienne. C’était le 2 novembre, ce jour de la rentrée des vacances de la Toussaint où, dans tous les établissements de France, devait être rendu un hommage à Samuel Paty. 

« Cette charte, c’est du pipeau ! »

Samuel Zaoui, qui enseigne les sciences économiques et sociales dans un lycée de Saint-Denis déclare : « Cette charte, c’est du pipeau ! Si on était encore dans l’école de la IIIe République et qu’on demandait aux élèves de réciter des maximes au début de chaque cours, pourquoi pas… Mais, s’il faut la mettre en débat, questionner sa valeur d’outil normatif, pour permettre aux élèves de se l’approprier, ça va prendre des heures ! »

Pierre Claustre Professeur d’histoire-géographie

« Je n’enseigne pas la laïcité comme une valeur, confirme Pierre Claustre, professeur d’histoire-géographie à Montreuil, ce n’est pas mon rôle d’inculquer des valeurs, d’asséner des choses. J’enseigne l’esprit critique, la démarche scientifique. Les discours d’aujourd’hui sur ce sujet me mettent mal à l’aise. La laïcité, héritage de la République ? Mais quand on est historien, on sait que c’est plus compliqué que ça, on sait que ces “valeurs” ne se traduisent pas forcément dans la réalité ! Et surtout, nos élèves sont intelligents : eux aussi, ils le savent. »

Samuel Zaoui abonde : « Ce qui questionne les élèves, c’est le droit. Ils veulent une République juste, pas ce “deux poids deux mesures” qui constitue leur ressenti – un ressenti qui repose sur des faits. Moi, je leur explique que la laïcité, c’est que la personne est sacrée mais que la religion est libre. Et aussi que si la France n’était pas laïque, elle serait catholique. Du coup, ils préfèrent la laïcité ! Mais pour faire cela, il faut connaître l’histoire, être formé à ces questions. Et beaucoup d’enseignants ne le sont pas, ou plus. »

« Même les élèves non musulmans ressentent l’instrumentalisation de la laïcité contre l’islam »

Ce manque de formation et de ressources fait l’unanimité. « Quand le ministre dit qu’on a tous les éléments, c’est mensonger », dénonce Claire : « Nos ressources sont squelettiques ! C’est aussi pour cela que, le 2 novembre, nous avions vraiment besoin d’un moment pour en discuter. » Elle dénonce également l’effet dévastateur des discours dominants, de cette « laïcité agressive » qui se fait de plus en plus entendre : « Nos élèves sont des êtres vraiment intelligents. Ils sont confrontés aux discours permanents des chaînes d’info, aux raccourcis, aux amalgames. Quand un ministre dit qu’il faut fermer les rayons halal, comment pourraient-ils éviter de penser qu’il y a un problème avec la laïcité, si ce sont des gens comme lui qui l’incarnent ? Il y a un enjeu républicain fondamental à dissocier le principe de la laïcité, qui est émancipatrice, de celle qui est caricaturée dans les grands médias et par certains responsables politiques. »

« On n’est pas là pour faire du catéchisme ! lance Pierre Claustre. C’est pourtant ce qu’on nous demande. Même les élèves non musulmans ressentent l’instrumentalisation de la laïcité contre l’islam. Ce climat politique ne nous aide pas, il nous complique la tâche. Les programmes complètement fous ne nous aident pas. Le manque de temps ne nous aide pas. Mais le temps, on le prend. »

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